mardi 18 novembre 2008

Le poids des minorités et de l'abstention

La victoire d’un candidat qui conquiert à peine la majorité Wasp


Dans le post portrait d’E. Todd nous avons fait un petit détour par l’universalisme français. La société américaine selon lui, est largement fondée sur le particularisme (appelé généralement multiculturalisme), fragmentée, compartimentée. Ici, on affirme sa différence, son appartenance à une communauté : on est noir, hispano, juif, par exemple. On donne un sens aux races pour définir un individu, sans complexe. La WASPS (White Anglo Saxon Protestants Society), est un acronyme qui sert à définir la population blanche américaine, la minorité majoritaire en termes actuels ou en termes marxistes la classe dominante. Cette majorité est aujourd’hui rattrapée démographiquement et peut-être socialement, par les minorités visibles, essentiellement noires et latinos.


En gagnant les minorités...


The Afro-americans


Comme en Europe il faut sans lassitude rappeler les origines de l’Union, les scissions originelles qui marquent notre identité, on doit montrer les cicatrices profondes qui marquent l’Amérique, la libérale, l’ouverte, la terre d’accueil. La conquête d’un territoire peuplé, le massacre de ses autochtones indiens, le commerce triangulaire des noirs, les esclaves du coton. Une nation fondée sur le racisme et la ségrégation. Les écoles, les professions libérales, l'action politique réservées aux blancs et par exemple au Sud, le Ku Kux Klan, ne sont pas de l’histoire ancienne.


Un jour de décembre 1955 en Alabama, Rosa Parks refuse de céder sa place de bus à un homme blanc. Au-delà du symbole c’est le déclenchement de la révolte noire, l’avènement d’un pasteur non violent : Martin Luther King et son « I have a Dream » en 1963 face au Lincoln Memorial de Washington, marquait le début de l’existence politique de la communauté noire.


La lente ascension de l’échelle sociale et politique fût marquée par les personnalités de Malcom Little dit « X », de Cassius Clay alias Mohamed Ali (on ne pourra pas revenir ici sur le rôle de l’islam dans la libération noire) , de Jesse Jackson, et plus récemment de Colin Powell, premier noir chef d'État Major des Armées des Etats-Unis, ou de Condoleezza Rice aux affaires étrangères. On doit noter que les conservateurs, aux US comme en France, sont les premiers à porter la visibilité au gouvernement, et on s’interroge sur la discrimination dite « positive ».



Obama est donc le symbole paroxysmique de la communauté noire américaine. Ni Luther King en 64, ni Jesse Jackson vingt ans plus tard, n’avaient réussi à s’imposer comme candidats démocrates à l’élection présidentielle. Au terme des primaires, le mythe était bâtit qui le menait à la victoire : un homme de couleur allait présider les Etats-Unis, dans une ligne de rassemblement, se revendiquant du destin de tout les américains, blancs et noirs, non sans distinction de race, mais dans l’union de la diversité.


Logiquement, en 2008, le vote de la communauté noire en faveur de Barack Obama aura été massif, (97% selon CNN exit poll) inscrit dans la continuité d’une histoire douloureuse d’intégration, dont l’accélération exponentielle en un demi-siècle a amené Obama au sommet de l’Etat. On tend pour le coup à l’assimilation (vs. Intégration), sans que nous soyons en mesure de présumer des répercutions profondes que cela aura dans les structures sociales américaines : la minorité noire, on l’a vu, reproduit aussi évidemment le schéma de discriminations sociales internes qui prévaut dans le reste de la société.


Los Latinos


L’une des communautés américaines de premier plan c’est les « latinos ». Ils sont originaires d'Amérique latine au sens large et représentent aujourd'hui environ 50 millions de citoyens, principalement installés autour de la frontière avec le Mexique et dans les mégalopoles, par exemple celle de la côte est : de Boston à Washington. A l’origine, beaucoup de cubains exilés votaient essentiellement selon la position des candidats vis-à-vis de Castro et, tenants d’une ligne dure, ils se ralliaient quasi systématiquement aux républicains.

Aujourd’hui, environ la moitié de ces latinos sont originaires du Mexique, l'autre moitié d'Amérique centrale ainsi que de Colombie et du Venezuela. Cette dernière population a émigré beaucoup plus tard que les autres minorités, massivement depuis les années 80, et continue de croître fortement, tant par l’immigration que par son taux de fécondité. Elle défend jalousement sa particularité culturelle, par la musique par exemple, mais aussi fortement par langue ; et elle augmente dans de telles proportions que l'usage de l'espagnol s'est vulgarisé à l'ensemble de la société américaine. Certains média nationaux donnent le ton puisque écrits uniquement en español. On peut aussi trouver beaucoup de publicités hispanophones à la télé où dans les journaux (ex. à NY). Cette minorité est selon certains WASPS «largement en dehors du schéma de pensée traditionnel américain » comme le dénonce Samuel Huntington, dans sa dernière trouvaille de campagne intitulée Who Are We? The Challenges to America's National Identity, qui dénonce « l'hispanisation rampante de la société américaine ». On en revient à Todd, son éclairage sur le particularisme, porte ouverte au différentialisme identitaire qui hérisse les universalistes et tous les humanistes.



Cette population, majoritairement pauvre, très catholique et ne regardant CNN qu’en version espagnol, a donc été un enjeu majeur pour chacun des candidats à l'élection présidentielle. Il y a huit ans, les Latinos votaient majoritairement Bush. C’est l’une des raisons pour lesquelles, ne l’ayant pas oublié, l'équipe d’Obama a décidé de mettre l’accent de sa campagne sur les thématiques affectant directement cette minorité, principalement les questions de pauvreté (la minorité latino étant la plus pauvre des Etats-Unis) et d'intégration : les baisses d'impôts pour les revenus les plus faibles, la création d'un système de santé universel (ouvert aux sans papier, nombreux chez les hispaniques), et les propos très conciliant sur l'immigration (notamment au sujet des regroupements familiaux), ont valu à Obama des louanges outre Rio Grande, avec notamment de grandes parades en sa faveur à Mexico et Monterrey, et la faveur ces électeurs particuliers. Obama a donc obtenu plus de 65% des suffrages hispaniques, faisant basculer certains swing states décisifs dans l'escarcelle démocrate, notamment et contre toute attente, le Nouveau Mexique et le Colorado.


Malgré un niveau électoral égal à celui de Mc Cain dans la majorité, masculine et blanche, Obama a su faire pencher la balance en sa faveur et ce largement, dans les minorités noires et hispaniques. Restait une difficulté majeure : les amener à participer au scrutin…


… et en en assurant la participation,


« Faire barrage à l'abstention! », c'était le crie de ralliement des démocrates de Virginie le jour du scrutin. On se proposait d'aller chercher les gens chez eux pour les conduire en voiture au bureau de vote. D'autres, comme Antoine, écumaient la ville à vélo, pour sonner aux portes et vérifier que chacun avait bien accompli l’acte citoyen. Ainsi tous les moyens ont été mis en œuvre (voir les 2 articles précédents) car l'abstention était la bête noire du staff de Barack Obama qui comptait en effet faire la différence dans un électorat très volatile. Habituellement le taux de participation de la communauté noire ne dépassait pas les 35%. Il fallait aussi savoir mobiliser les moins de 30 ans (62% pour Obama), les femmes (58%) et toutes les autres minorités.

En 2008, les Etats-unis auront connu un taux de participation historique de 62%, Malgré le fait que non seulement le « business as usual » prime largement sur la politique, mais on fait, en plus, naturellement confiance à son président : “Si il a été élu, c'est qu’il doit être le meilleur” m'a-t-on dit plus d'une fois. Mais lorsque la confiance est rompue, la désillusion peut amener des retournements radicaux dans l’opinion publique (cf. les procédures d’impeachment de Nixon et Clinton)


Justement, W. Bush a fortement érodé la confiance spontanée des citoyens en le pouvoir établi: élu et surtout réélu dans des conditions floues (appel à la court suprême), guerre en Irak bâtie sur le mensonge d’Etat, le vote contestataire a porté sur Obama qui a su dépasser l’image d’establishment democrat pour incarner le changement tout en se présentant comme candidat classique discours et de rassemblement national.


Comme l’Amérique s’était réveillée soudainement contre Nixon, ou dans une moindre mesure contre Clinton, elle s’est soulevée contre Bush et son successeur McCain, mais sans pour autant nous laisser croire à un retour massif à la conscience politique et militante : Les soubresauts sont fréquents…et brefs, les conservatismes vivaces, même là où à la première, à la deuxième, à la troisième génération, nous sommes tous des enfants d'immigrés.



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