mardi 25 novembre 2008

Joe Biden, le joker d’Obama


On a beaucoup parlé, sur ce blog et dans les médias, de Barack Obama, et assez peu de son colistier Joseph Robinette (!) Biden. Mais pour traiter de la politique internationale des Etats-Unis, il faut impérativement s’intéresser au deuxième homme de l’Etat, Vice-président et grand ponte des affaires internationales américaines, dont l’influence sera significative sur la conduite des US, notamment parce qu’il a obtenu cette position dans la campagne justement afin de crédibiliser Obama en la matière et parce que les veeps (Cheney en est la meilleure illustration) sont tout particulièrement responsables de la diplomatie, cet aspect considéré comme secondaire par bien des américains.

Un homme d’expérience

Joe Biden à 66 ans, est ce que l’on pourrait appeler un vieux routier de la politique américaine. Il a été élu pour la première fois en 1972 à l’age de 29 ans, c’est son sixième mandat successif de sénateur du Delaware, un petit état coincé entre la Pennsylvanie et le New Jersey. Il a donc passé la moitié de sa vie au Sénat!

Une qualité majeure de ce professeur en droit constitutionnel: sa maîtrise des enjeux internationaux. Depuis longtemps on n’avait pas vu à la tête des Etats Unis un homme d’une telle expérience : Président pendant plus de huit ans de la très puissante commission des affaires étrangères du Sénat, Il est respecté bien au delà de son propre parti.

Après s'être fortement engagé dans les guerres des Balkans et notamment en faveur des Bosniacs (pour la levée de l'embargo sur les armes), ila notamment été en 1999 à l’origine de la célèbre résolution qui confiait à Bill Clinton toutes les forces nécessaires pour gérer la crise du Kosovo. Le co-auteur de ce texte était à l’époque un sénateur républicain du nom de… McCain. Joe Biden est aussi l’un des premiers hommes politiques américains à s’être élevé contre la création de la prison de Guantanamo et il en a plusieurs fois demandé la fermeture, la qualifiant de “honte” pour son pays.
"Lorsque je réfléchis à ma carrière d'homme politique, je suis particulièrement fier du travail que j'ai accompli pour mettre fin au génocide dans les Balkans et pour faire adopter la loi contre la violence à l'égard des femmes", résume-t-il dans son autobiographie.


Le ticket gagnant

A 66 ans, l’homme politique américain le plus reçu a l’étranger ne passe environ qu’un tiers de son temps aux Etats-Unis - et encore récemment médiateur en Géorgie - jouit d’une crédibilité peu commune qui a fait de Joe Biden le meilleur partenaire du candidat Obama, auquel on reprochait son inexpérience. Il a été et restera la caution du jeune président en matière de diplomatie. Il sera aussi et surtout, le patron d’Hillary Clinton. Il faut le noter lorsque l’on s’interroge sur le rapprochement des concurrents à l’investiture dont les différents avaient pu sembler irréparables: Hillary Clinton, forte notamment de l’image de Bill au Proche-Orient, sera le sherpa américain dans le reste du monde, la responsable de la diplomatie. Et d’aucuns s’interrogent sur l’identité du véritable patron des affaires internationales. Mais les contre-pouvoirs internes à l’administration sont nombreux. On ne peut négliger notamment le rôle des services de renseignement et le pouvoir de l’armée. Biden lui, pourra superviser l’ensemble de ces services, là ou la diplomatie d’Hillary ne peut pas tout.Évidemment Biden traîne aussi un certain nombre de casseroles: il a par exemple voté en 2002, tout comme Mme Clinton, le Patriot Act : la loi qui a permis à Bush d’intervenir en Irak.
Libre penseur parfois aussi démagogue et électoraliste, il ne garde pas sa langue dans sa poche; un avantage pour le vice-président, souvent chargé d’attaquer l’adversaire politique, mais qui pourrait se retourner en l'occurrence contre son maître.


La Biden Touch

Catholique et fils d’ouvrier de Baltimore, il est l’incarnation des democrats de l’Est : les “blue collars”. Natif d’une région en déclin industriel, la Rust Belt (ceinture de rouille), Il est lui aussi hégérie du rêve américain: parti de rien, aujourd'hui vice-président. Il n’a pas de fortune personnelle: il est le moins riche des sénateurs. Autant d’arguments de proximité d’avec l’Amérique moyenne, pour le moins paradoxal puisqu'on taxait Obama d’intellectuel.
Il est un démocrate centriste, favorable à l’avortement, à l’union civile des homosexuels, au contrôle stricte des hedge funds et les private equity funds dont il dénonce la responsabilité fondamentale dans la crise économique, favorable à la taxation forte des hauts revenus et aux investissements étrangers dans l’économie américaine: ce qu'on apelle les fonds souverains saoudien et chinois ; mais favorable aussi à la peine de mort et à la vente (contrôlée) des armes à feu, grand défenseur des droits d’auteurs et de la propriété intellectuelle, il s’attache à faire bouger les lignes à Washington malgré sa grande expérience du système sénatorial et ne ternit en rien l’image réformatrice de la nouvelle équipe. Sa la liberté de langage a conduit à certaines gaffes célèbres de la campagne.

C’est ce contraste de progressisme et de classicisme, ce côté bavard et proche de la vox populi (et parfois même populiste), que les médias américains qualifient de Biden Touch. Un « nouveau » visage démocrate (lisez l'article sur le reste de l'entourage présidentiel) dont il faudra observer attentivement l'ambiguïté dans les prochaines années.

samedi 22 novembre 2008

les Guerres Américaines: que peut Obama?

La rencontre avec Ali Fathollah-Nejad, nous a permis d'aborder la politique internationale américaine selon deux axes interdépendants. Vous avez pu lire dans le premier article sur le sujet, les risques liés aux derniers jours de W.Bush à la tête de la diplomatie et des armées US, cette deuxième analyse traite des espoirs portés sur les premiers pas d'Obama sur la scène internationale, de ses marges de manœuvre, de l'influence qu'il aura en Europe et des développements possibles en matière d'engagements internationaux américains, notamment militaires et principalement dans le grand Moyen-Orient, coeur palpitant des mondes en transition.

Ali Fathollah-Nejad est expert des relation US-UE avec le Moyen-Orient: du Pakistan à l'Irak en passant par l'Afghanistan, l'Iran, etc.
2ème partie:

A Mere Atmospheric Change in Obama’s Foreign Policy

U.S. London-Based Pundits See Rather Continuity Than Change

By Ali Fathollah-Nejad

LONDON – After Barack Obama’s victory in the U.S. presidential elections last week, discussions about what direction an Obama/Biden Administration is likely to follow are gaining momentum.

Obama’s “Coalition of the Willing” Against Iran?

Invited by the London Middle East Institute (LMEI) on 11 November to speak about the foreign policy of the next U.S. administration, the London-based American analyst Jonathan Paris anticipated an Obama foreign policy much in line with the one of the current Bush administration.

The main areas of concern, he asserted, would be Afghanistan, Iraq, and Iran. Focusing extensively on the latter, Paris said that sanctions will be kept up with even the aim of aggravating those. Meanwhile, one should not “beg” Russia to join the efforts by the P5+1 – i.e. the five permanent UN Security Council members and Germany – to increase pressure on Iran. Rather would it suffice to wait for Russia to join an anti-Iran “coalition of the willing.” Moscow has so far been reluctant to Washington’s insistence to impose further sanctions on Tehran. According to Paris, who like Norman Podhoretz is an adjunct fellow at the neoconservative U.S. think-tank Hudson Institute, Washington’s overall goal would be to “win over” Russia so to avoid any opposition to its preferred policies.

Drawing on Obama’s campaign announcement to enter into direct negotiations with Iran, Paris stressed that this would test the Iranian Supreme Leader Ayatollah Khamenei’s willingness to come along. Although proponents of a thus-designed “overture” vis-à-vis Tehran expect the Iranian leadership to repudiate, other experts point out that such an outcome is far from obvious with the Iranians being seriously interested in normalizing ties with the United States. Paris reiterated the view that Israel could only attack Iran with U.S. support.

Paris, a Middle East fellow with the Council on Foreign Relations in New York from 1995 to 2000, stated that other spotlights would be Pakistan – which he described as constituting the “prize” –, “the most pivotal state in the Middle East,” Egypt, with President Hosni Mubarak’s succession pending, and Iraq where “corruption” of the Baghdad government would be the core problem without mentioning Obama’s promise to withdraw occupation forces there. While tackling the so-called “rogue states,” of course China would be a central focal point for Washington’s foreign policies, Paris added.

Multilateralism “Yes,” Multipolarity “Not So Fast”!

Paris, who is also a member of the International Institute for Strategic Studies (IISS) in London, said a future president Obama would opt for “cooptation” rather than confrontation, a characteristic attributed to the Bush Administration. He classified an Obama Administration as belonging to a “liberal internationalist” strand. While Paris approved multilateralism, he cautioned against multipolarity whose dawn he commented with occurring “not so fast.”

He described the decision-making process of the forthcoming administration to be “bottom-up,” implying that Obama will be very much acting upon advise given to him. Paris conceded that only “atmospheric change” would come during an Obama presidency.

A few days earlier on 5 November, Mark Fitzpatrick, at a panel on “nuclear futures after the U.S. elections” at the School of Oriental and African Studies (SOAS) in London, stated that establishing a weapons-of-mass-destruction free zone in the Middle East could not be found among the top-ten list of an Obama administration. Fitzpatrick, an American senior fellow for non-proliferation at the IISS, said that the main obstacle to launching a regional conference to such an end would be the lack of “mutual recognition” between Israel and Iran. However, he did not mention Iran’s “grand bargain” offer of spring 2003 to the U.S. which inter alia included a de facto recognition of the state of Israel. Washington at that time ignored this remarkable Iranian overture that included Tehran’s willingness to settle all controversial issues in U.S.–Iran relations.[1]


Fitzpatrick presaged that a future president Obama would command U.S. marines in the Persian Gulf to start communicating with the Iranian navy in order to avoid any confrontation provoked by misperceptions. In terms of nuclear disarmament, he proposed that in the first 100 days of the new administration, the U.S. could de-alert the status of its nuclear arsenal, but preferably doing so only when Russia acts likewise.

In sum, both London-based U.S. analysts did not signal any change of an Obama administration’s foreign policy stance especially when compared to the Bush administration’s second term. Their remarks implied that the U.S. National Security Strategy (NSS) of 2002 and 2005 which formed the basis of President George W. Bush’ s foreign policy agenda and which included the Bush/Wolfowitz preventive strike doctrine would not be revised. According to veteran U.S. Middle East expert William R. Polk the removal of the George W. Bush’s NSS, which “threatens Iran with destruction,” would be an absolute prerequisite for any serious change in Washington’s world policy.[2] The American pundits rather upheld the belief that there will be continuity in Washington’s strategic outlines and actual policies with Obama and that the only change that could be expected will occur in terms of rhetoric.


[1] See Gareth Porter (2006) “Burnt Offering. How a 2003 secret overture from Tehran might have led to a deal on Iran’s nuclear capacity—if the Bush administration hadn’t rebuffed it,” The American Prospect, Vol. 17, No. 6 (June), pp. 20—25.

[2] See Ali Fathollah-Nejad (2008) “Iran Falling into the “Net” of a “Worldwide Policy”: On the U.S. Foreign Policy Doctrine and Its Present Dangers – Exclusive Interview with William R. Polk,” Global Research, 16 October.


vendredi 21 novembre 2008

La politique internationale Americaine: Rencontre avec Ali Fathollah-Nejad

Ali Fathollah-Nejad est un jeune chercheur londonien (M.Sc. cum laude, M.A., B.Sc., B.A.) en politique internationale spécialiste des relations des États-Unis et de l'UE avec le Moyen-Orient.

Allemand d'origine iranienne, il étudie en France, en Allemagne et aux Pays-Bas, puis fonde le think-tank international CASMII, et poursuit désormais ses recherches à Londres.

Il publie en anglais, allemand, français, turc, espagnol, italien et farsi, notamment: une étude sur le conflit américano-iranien: Iran in the Eye of Storm – Backgrounds of a Global Crisis. Il nous expose en deux articles, les risques liés aux derniers jours de W. Bush au pouvoir puis relativise les espoirs que font naitre les premiers pas d'Obama sur la scène internationale, au vu de ses déclarations post-électorales, de ses promesses de campagne (par exemple la fermeture de Guatanamo), mais surtout connaissant sa ligne politique personnelle et l'influence de son entourage, dans la ligne idéologique et pratique de la nouvelle administration.

I have said repeatedly that I intend to close Guantanamo, and I will follow through on that. I have said repeatedly that America doesn't torture. And I'm gonna make sure that we don't torture. Those are part and parcel of an effort to regain America's moral stature in the world.
Barack Obama Interview on CBS , 16. November 2008

1ère Partie:

Desperate Need for Serious Change in Transatlantic Foreign Policy

Almost eight years of the Bush/Cheney Administration have plunged the world into a deep political, economic, and moral crisis, whose overcoming will probably require decades if a sharp turn does not immediately take place. That is why the newly elected Obama/Biden Administration must bring about serious change.

After having lost the popular national vote against Democratic contender Al Gore in late 2000, the son of former U.S. president George H. W. Bush (1989–93) was heaved into office by a highly controversial Supreme Court ruling that granted him victory in the all-decisive ballot in the state of Florida where his brother Jeb acted as governor.

George W. Bush's administration took office on the assumption that Washington's overwhelming military dominance will enable the "sole remaining superpower" to boundlessly project power into every corner of the post-Cold War globe. The ascending Weltanschauung of neoconservatism replaced the "Evil Empire" rhetoric of the Reagan years by promulgating the calamitous "global war on terror" with the largely Muslim "Greater Middle East" as its center stage. The terrorist attacks of September 11, 2001 allowed the militarist agenda of the "Bush/Wolfowitz Doctrine" to unfold its full destructive potential in the invasions and occupations of Afghanistan (in Oct. 2001) and Iraq (in March 2003) under the pretext of fighting terrorism, stopping the spread of weapons of mass destruction, and promoting democracy. The world would soon learn that all those noble causes were not only highly hypocritical, but the outcome produced would be in stark contradistinction to those proclaimed aims.

In his second State of the Union address (Jan. 2002), George W. Bush justified his administration's "war on terror" as being directed against an "axis of evil," allegedly "arm[ed] to threaten the peace of the world." This notion evoking the good fight against the fascist "axis powers" during the Second World War paved the way for the neocon-designed "World War against Islamofascism." These crude concepts would heavily disrupt international relations for years to come.

When George W. Bush and his hyper-influential vice-president Dick Cheney ran for re-election in 2004, the moral bankruptcy of the self-proclaimed "war president" was already all too evident: Guantánamo, Abu-Ghraib, Fallujah, and Bagram became synonyms of atrocities committed by the self-appointed torchbearer of democracy and human rights. In the wake of the USA Patriot Act (Oct. 2001), the transatlantic world, too, had to witness an unprecedented hollowing of its civil rights fabric for the doubtful sake of "fighting terrorism."

To finance its global adventures, Washington effectively borrowed huge sums from the world, prompting the biggest budget deficit in U.S. history, and further greatly contributed to the economic and financial breakdown that we witness today.

In politico-strategic terms, the transatlantic world had to pay a high price for misguided U.S. policies and the lack of an independent and potentially corrective EU policy stance. Europe's highly important neighboring region, the Middle East, is aflame as a result of one-sided, blind, and overtly imperialist interventions whose outcome few dared to foresee. Meanwhile, Latin America has slipped away from U.S. hegemony, and Asia has entered an active process of alliance building to counter Washington.

The idea that the United States, together with its willful European allies, is in pursuit of a selfish and cataclysmic agenda has only been fortified in the opinions of a vast majority of world's populations. Therefore, President Obama will not succeed by merely trying to cosmetically repair this abysmal image of the "West." He must decisively abandon unilateralism for the sake of multilateralism and replace imperial arrogance by a global vision of overcoming the planet's growing maladies. Europe's reputation as a responsible actor in world affairs will much depend on her ability to encourage Washington to make the necessary adjustments.

The world, including Americans and Europeans, is in desperate need for a swift and serious change of the transatlantic world's attitude towards the most pressing problems of our time. It is time to rethink the very fundaments of the policies pursued so far and to establish a rational policy, which, instead of proliferating enemies, explores avenues leading to mutually beneficial partnerships. Instead of thoughtless reliance on "coercive diplomacy" which has led to a vicious cycle of escalation (e.g. in the conflict with Iran), negotiations need to be undertaken in "good faith," foremost taking into account the other parties legitimate (security, political, economic) interests. Only this would give credibility to the West's handling of world affairs.

A full reactivation of the UN Charter's authority is all the more crucial as its blatant circumvention by the United States has virtually prompted emerging great powers to follow suit, with the result of ever-growing global crises that have become hardly manageable by the international community. Likewise it should be clear to policy-makers that any use of double standards is being attentively registered around the globe with a growing sense of alienation and mistrust, which only creates detrimental, counter-productive effects for the future of global governance.

For the time being, until Barack Obama's inauguration in January, American and European decision-makers would be well advised to undertake every necessary step to dissuade the current Bush/Cheney Administration from deepening the Middle East quagmire by launching another preventive war against its proclaimed Iranian archenemy -- a war which veteran U.S. foreign-policy expert William R. Polk, in his interview with me last month, characterized as a "great and present danger."

Polk, in the same interview explained that, although Obama's change of position on the Middle East was "lamentable and disturbing," "we can hope with Obama." So, let's hope he recollects the very promising ideas with which he entered the presidential race and which would potentially bring serious change.

That's the question developed in the next article.


jeudi 20 novembre 2008

De Sans-Papier à Citoyen : rencontre avec Jorge Sanchez

suite et illustration de Minorités et Abstention

Nous voici en compagnie de Jorge Sanchez, en version originale, accent "mericain".

Jorge est en effet d'origine mexicaine. A 15 ans il a quitté son pays natal pour venir travailler en Californie. Immigré clandestin, il a fait partie des centaines de milliers de mexicains qui, chaque jour, risquent leurs vies à travers le désert à la recherche d'un avenir meilleur.
dessin de plantu, Le Monde le 15.03.07

Après plusieurs années difficiles, Jorge a réussi à obtenir la nationalité américaine: ici, on peut encore devenir citoyen. Il a ainsi pu poursuivre des études en informatique. Bosseur, talentueux, doué d'une volonté sans égal, un destin d'immigré, aujourd'hui il travaille dans une des plus grandes compagnies d'information financière du monde, basée à New-York. Un cas fréquent aux États-Unis, ou le mérite fait parfois sens en sus de la reproduction sociale.


Fier de ses racines et au fait des difficultés de la minorité latino, il consacre des temps libres à travailler dans un centre social d'aide aux immigrés clandestins. On remarquera qu'Obama, longtemps travailleur social des quartiers chauds de Chicago , s'est beaucoup entouré de ses pairs.


Je le retrouve dans le cadre de nos rencontres avec des associations américaines politisées. Il m'explique qui il est, pourquoi il s'est engagé auprès de Barack Obama, et dans cette dernière partie, dans quel sens vote la communauté, notamment à travers le prisme de l'immigration et de l'intégration, et quels sont les risques d'abstention.


merci Jorge!

mardi 18 novembre 2008

Le poids des minorités et de l'abstention

La victoire d’un candidat qui conquiert à peine la majorité Wasp


Dans le post portrait d’E. Todd nous avons fait un petit détour par l’universalisme français. La société américaine selon lui, est largement fondée sur le particularisme (appelé généralement multiculturalisme), fragmentée, compartimentée. Ici, on affirme sa différence, son appartenance à une communauté : on est noir, hispano, juif, par exemple. On donne un sens aux races pour définir un individu, sans complexe. La WASPS (White Anglo Saxon Protestants Society), est un acronyme qui sert à définir la population blanche américaine, la minorité majoritaire en termes actuels ou en termes marxistes la classe dominante. Cette majorité est aujourd’hui rattrapée démographiquement et peut-être socialement, par les minorités visibles, essentiellement noires et latinos.


En gagnant les minorités...


The Afro-americans


Comme en Europe il faut sans lassitude rappeler les origines de l’Union, les scissions originelles qui marquent notre identité, on doit montrer les cicatrices profondes qui marquent l’Amérique, la libérale, l’ouverte, la terre d’accueil. La conquête d’un territoire peuplé, le massacre de ses autochtones indiens, le commerce triangulaire des noirs, les esclaves du coton. Une nation fondée sur le racisme et la ségrégation. Les écoles, les professions libérales, l'action politique réservées aux blancs et par exemple au Sud, le Ku Kux Klan, ne sont pas de l’histoire ancienne.


Un jour de décembre 1955 en Alabama, Rosa Parks refuse de céder sa place de bus à un homme blanc. Au-delà du symbole c’est le déclenchement de la révolte noire, l’avènement d’un pasteur non violent : Martin Luther King et son « I have a Dream » en 1963 face au Lincoln Memorial de Washington, marquait le début de l’existence politique de la communauté noire.


La lente ascension de l’échelle sociale et politique fût marquée par les personnalités de Malcom Little dit « X », de Cassius Clay alias Mohamed Ali (on ne pourra pas revenir ici sur le rôle de l’islam dans la libération noire) , de Jesse Jackson, et plus récemment de Colin Powell, premier noir chef d'État Major des Armées des Etats-Unis, ou de Condoleezza Rice aux affaires étrangères. On doit noter que les conservateurs, aux US comme en France, sont les premiers à porter la visibilité au gouvernement, et on s’interroge sur la discrimination dite « positive ».



Obama est donc le symbole paroxysmique de la communauté noire américaine. Ni Luther King en 64, ni Jesse Jackson vingt ans plus tard, n’avaient réussi à s’imposer comme candidats démocrates à l’élection présidentielle. Au terme des primaires, le mythe était bâtit qui le menait à la victoire : un homme de couleur allait présider les Etats-Unis, dans une ligne de rassemblement, se revendiquant du destin de tout les américains, blancs et noirs, non sans distinction de race, mais dans l’union de la diversité.


Logiquement, en 2008, le vote de la communauté noire en faveur de Barack Obama aura été massif, (97% selon CNN exit poll) inscrit dans la continuité d’une histoire douloureuse d’intégration, dont l’accélération exponentielle en un demi-siècle a amené Obama au sommet de l’Etat. On tend pour le coup à l’assimilation (vs. Intégration), sans que nous soyons en mesure de présumer des répercutions profondes que cela aura dans les structures sociales américaines : la minorité noire, on l’a vu, reproduit aussi évidemment le schéma de discriminations sociales internes qui prévaut dans le reste de la société.


Los Latinos


L’une des communautés américaines de premier plan c’est les « latinos ». Ils sont originaires d'Amérique latine au sens large et représentent aujourd'hui environ 50 millions de citoyens, principalement installés autour de la frontière avec le Mexique et dans les mégalopoles, par exemple celle de la côte est : de Boston à Washington. A l’origine, beaucoup de cubains exilés votaient essentiellement selon la position des candidats vis-à-vis de Castro et, tenants d’une ligne dure, ils se ralliaient quasi systématiquement aux républicains.

Aujourd’hui, environ la moitié de ces latinos sont originaires du Mexique, l'autre moitié d'Amérique centrale ainsi que de Colombie et du Venezuela. Cette dernière population a émigré beaucoup plus tard que les autres minorités, massivement depuis les années 80, et continue de croître fortement, tant par l’immigration que par son taux de fécondité. Elle défend jalousement sa particularité culturelle, par la musique par exemple, mais aussi fortement par langue ; et elle augmente dans de telles proportions que l'usage de l'espagnol s'est vulgarisé à l'ensemble de la société américaine. Certains média nationaux donnent le ton puisque écrits uniquement en español. On peut aussi trouver beaucoup de publicités hispanophones à la télé où dans les journaux (ex. à NY). Cette minorité est selon certains WASPS «largement en dehors du schéma de pensée traditionnel américain » comme le dénonce Samuel Huntington, dans sa dernière trouvaille de campagne intitulée Who Are We? The Challenges to America's National Identity, qui dénonce « l'hispanisation rampante de la société américaine ». On en revient à Todd, son éclairage sur le particularisme, porte ouverte au différentialisme identitaire qui hérisse les universalistes et tous les humanistes.



Cette population, majoritairement pauvre, très catholique et ne regardant CNN qu’en version espagnol, a donc été un enjeu majeur pour chacun des candidats à l'élection présidentielle. Il y a huit ans, les Latinos votaient majoritairement Bush. C’est l’une des raisons pour lesquelles, ne l’ayant pas oublié, l'équipe d’Obama a décidé de mettre l’accent de sa campagne sur les thématiques affectant directement cette minorité, principalement les questions de pauvreté (la minorité latino étant la plus pauvre des Etats-Unis) et d'intégration : les baisses d'impôts pour les revenus les plus faibles, la création d'un système de santé universel (ouvert aux sans papier, nombreux chez les hispaniques), et les propos très conciliant sur l'immigration (notamment au sujet des regroupements familiaux), ont valu à Obama des louanges outre Rio Grande, avec notamment de grandes parades en sa faveur à Mexico et Monterrey, et la faveur ces électeurs particuliers. Obama a donc obtenu plus de 65% des suffrages hispaniques, faisant basculer certains swing states décisifs dans l'escarcelle démocrate, notamment et contre toute attente, le Nouveau Mexique et le Colorado.


Malgré un niveau électoral égal à celui de Mc Cain dans la majorité, masculine et blanche, Obama a su faire pencher la balance en sa faveur et ce largement, dans les minorités noires et hispaniques. Restait une difficulté majeure : les amener à participer au scrutin…


… et en en assurant la participation,


« Faire barrage à l'abstention! », c'était le crie de ralliement des démocrates de Virginie le jour du scrutin. On se proposait d'aller chercher les gens chez eux pour les conduire en voiture au bureau de vote. D'autres, comme Antoine, écumaient la ville à vélo, pour sonner aux portes et vérifier que chacun avait bien accompli l’acte citoyen. Ainsi tous les moyens ont été mis en œuvre (voir les 2 articles précédents) car l'abstention était la bête noire du staff de Barack Obama qui comptait en effet faire la différence dans un électorat très volatile. Habituellement le taux de participation de la communauté noire ne dépassait pas les 35%. Il fallait aussi savoir mobiliser les moins de 30 ans (62% pour Obama), les femmes (58%) et toutes les autres minorités.

En 2008, les Etats-unis auront connu un taux de participation historique de 62%, Malgré le fait que non seulement le « business as usual » prime largement sur la politique, mais on fait, en plus, naturellement confiance à son président : “Si il a été élu, c'est qu’il doit être le meilleur” m'a-t-on dit plus d'une fois. Mais lorsque la confiance est rompue, la désillusion peut amener des retournements radicaux dans l’opinion publique (cf. les procédures d’impeachment de Nixon et Clinton)


Justement, W. Bush a fortement érodé la confiance spontanée des citoyens en le pouvoir établi: élu et surtout réélu dans des conditions floues (appel à la court suprême), guerre en Irak bâtie sur le mensonge d’Etat, le vote contestataire a porté sur Obama qui a su dépasser l’image d’establishment democrat pour incarner le changement tout en se présentant comme candidat classique discours et de rassemblement national.


Comme l’Amérique s’était réveillée soudainement contre Nixon, ou dans une moindre mesure contre Clinton, elle s’est soulevée contre Bush et son successeur McCain, mais sans pour autant nous laisser croire à un retour massif à la conscience politique et militante : Les soubresauts sont fréquents…et brefs, les conservatismes vivaces, même là où à la première, à la deuxième, à la troisième génération, nous sommes tous des enfants d'immigrés.



lundi 17 novembre 2008

J-F Kahn en exclu: Êtes-vous MoDem?

Avant tout journaliste, patron de presse et directeur (à la retraire) de grands hebdo français, intellectuel et libre penseur, engagé et parfois provoc', Jean-François Kahn brigue l'investiture démocrate pour les européennes de 2009. Humaniste, libéral, fédéraliste, "néo"révolutionnaire bref, démocrate, il vient de publier un livre noir du ps (en rose) à la suite d'une longue liste d'ouvrages politiques et philosophiques. Il s'est exprimé dans de nombreux médias à cette occasion notamment, mais il nous donne ici, en exclu (!) une vision beaucoup plus large et complète de la vie publique européenne.

Dans la série des portraits et rencontres que nous vous proposons avec Obamania pour regrader notre Europe politique à travers le prisme américain, Jean-François Kahn nous a en effet rencontré dans un café parisien, voici une quarantaines de minutes enregistrées. Il faut excuser la mauvaise qualité du son et les aléas techniques mais vous pouvez lire la retranscription plus bas et profiter de ce dialogue débridé et très dense, à bâtons rompus et parfois même vert, avec celui qui n'a pas la langue dans sa poche!

Il nous parle d'Obama bien-sûr, du bushisme et du sarkozisme, mais surtout de l'histoire de l'Europe et de sa vision de l'avenir européen, du bilan de la présidence française, de la commission Barroso, de la bien-pensance et de sa philosophie politique en général, de son programme et de ses projets, du job de député européen, en passant par le gaullisme et les extrêmes droites et gauches, la place de l'État, l'immigration, la crise économique, la Turquie, l'Union pour la Méditerranée, de Guaino et de Mélenchon, de Todd aussi, bref, une plongée passionante dans l'actu pour notre plus grand plaisir.
Quand il dit "nous", il pense "les français", mais désormais aussi souvent "le MoDem" , alors écoutez ce son pour vous faire une nouvelle idée sur Jean-François Kahn ... l'homme politique.


retranscription de l'entretien enregistré
VO Audio plus haut...

JFK. On insiste beaucoup sur le fait qu’Obama est noir. C’est naturellement quelque chose d’important, mai je serais d’abord sur un autre élément : Roosevelt n’a été élu que 3 ans après la grande crise de 29, et il y a donc eu 3 ans de roue libre ou pratiquement il n’y a pas eu de réaction. Là, Obama a été élu trois mois après le déclenchement de la grande crise et cela peut-être un élément fondamental : la réaction de type rooseveltienne qu’il y a eu à la crise de 29 peut intervenir beaucoup plus vite et beaucoup plus tôt.


OBAMANIA. Le plan de relance ?


JFK. Bush avait déjà esquissé le plan de relance, mais un plan de relance plus structuré, plus cohérent, moins anarchique que celui que Bush a improvisé, et avec une crédibilité psychologique qui joue aussi, et la possibilité que les consommateurs et les travailleurs en profitent, ce qui n’est pas le cas dans le plan de relance Bush, ou seules les banques profitent.


D’une façon général, comme dans les crises la dimension psychologique est fondamentale, le fait qu’il soit un nouveau président, jeune, noir, etc., est la seule dimension positive depuis quelques mois.


O. La désillusion ne risque pas d’induire des effets pires encore ?


JFK. Le problème dépend de la manière d’aborder la question : de façon totalement relative ou totalement absolue. Si on l’aborde de façon totalement absolue : Que va-t-il faire ? L’espérance : il faut en attendre beaucoup, il va changer la politique étrangère, la politique économique, etc. alors la déception est évidente et sera forte.


Mais si on l’aborde de façon relative, c'est-à-dire par rapport à Bush, alors en revanche il n’y aura pas déception parce qu’il est clair que par rapport à Bush il y aura un mieux formidable : s’il aborde différemment le problème iranien, s’il se réinvesti au Proche-Orient pour faire avancer le processus de paix, s’il renoue avec le processus de Kyoto, s’il commence à aller même prudemment vers la couverture maladie aux États-Unis par rapport aux niet de Bush c’est autant de mieux formidables, compte tenu que les choses ne peuvent pas se faire très vite.


Paradoxalement, les deux choses sur lesquelles il peut aller très vite, à part les plans de relance (finalement Bush l’aurait fait aussi parce que c’est une obligation), c’est lancer le processus de la couverture maladie et ça serait, sinon d’abandonner, au moins de réduire considérablement l’embargo sur Cuba : c’est la seule chose qu’il peut faire tout seul, très vite, spectaculaire, et tout le monde y est favorable dans le monde, à part les exilés cubains.


O. Pourtant les électeurs américains ne voyaient pas Obama comme un phénomène relatif : le changement qu’il incarnait et le phénomène Obamania étaient énormes…


JFK. Il y aura des déceptions, et il y en a déjà. Le seul fait qu’il nomme beaucoup d’anciens de l’équipe Clinton, déçoit l’aile la plus à gauche des gens qui l’ont soutenu. Mais sa force c’est le rejet de Bush et son échec. Il n’en faut pas beaucoup pour que le changement apparaisse comme assez fort. En termes absolus il y aura des déceptions mais en termes relatifs pas forcément.


O. Peut on tirer des leçons de son élection, en Europe ?


JFK. Il y a un aspect ambiguë sur les conséquences à tirer de l’élection d’Obama : tout le monde s’en réclame et c’est quand même un problème (rires)


O. Comme Victor Hugo : chacun en son temps se réclame de la star du moment ?


JFK. Surtout De Gaulle ! Bizarrement Victor Hugo, même encore aujourd’hui, toute une fraction de gens le déteste. Y compris pour des raisons politiques. La vraie droite, la droite dure déteste absolument Victor Hugo. C’est une chose qui m’a beaucoup frappé (car comme vous le savez j’ai beaucoup écrit sur Hugo) : à quel point la droite conservatrice a une haine formidable de Victor Hugo, même encore aujourd’hui.


Obama, la gauche s’en revendique, le Modem aussi, Sarkozy et une partie de la droite aussi. Il y a quelques UMP de la fraction très libérale qui disent qu’on ne doit pas abandonner Bush ou que McCain était un bon candidat, mais ils sont très minoritaires.


O. Avez-vous été frappé par le fait que la campagne et le positionnement d’Obama étaient le renouveau d’une architecture politique aux Etats-Unis : il s’adresse à tout les américains.


JFK. En effet, il est allé dans tout des états. En ce qui me concerne personnellement, ça ne m’intéresse beaucoup : il faut être à la fois extrêmement avancé, même révolutionnaire dans le sens ou je l’entends, sur le projet. C'est-à-dire non seulement avoir un projet, mais réhabiliter un projet de société, par rapport au fait qu’un type de société communiste c’est effondré, mais qu’aujourd’hui on assiste à l’effondrement d’un autre type de société. De montrer que si l’on a accepté les absurdités, les irrationalités, l’immoralité de ce système, c’est que depuis la chute du mur de Berlin, on a mis dans la tête des gens que pour la première fois dans l’histoire on avait plus le droit de rêver d’une autre forme de société et je crois que ça a été tragique. Si on en est où on en est, si on a dépassé l’esclavagisme, le féodalisme, le monarchisme, le tribalisme, c’est heureusement parce que depuis 4000 ans , des gens rêvent d’une autre société et contribuent. Tout à coup on a dit : « c’est finit ». C’est ce qui nous a fait accepté, à l’opinion, des choses absolument inacceptables.


Aujourd’hui il faut absolument réhabilité, restaurer, l’idée qu’une autre société est possible et qu’il faut même construire cette société, dont l’homme sera le centre. Ce qui, entre parenthèses, est d’autant plus intéressant que ça nous démarque du parti socialiste ou de la gauche qui elle ne rêvent plus, qui veut être la gauche d’une société existante. On en a rien à foutre d’être une société existante: le problème c’est de n’être ni de la gauche ni de la droite mais dans une société nouvelle et pas une société close. Il ne s’agit pas de livrer une société clef en main, c’est le drame du communisme, du socialisme, du fascisme. Là il s’agit d’une société plus juste, et quand on en approchera il faudra de nouveau penser une société plus juste, c'est-à-dire une société ouverte, toujours en mouvement, toujours en devenir. Il ne s’agit pas de fermer, de dire « c’est la fin de l’histoire ». Et si l’on restaure ce processus, alors il faut dire que tout ceux qui sont d’accord viennent, on est prêt à parler à tout le monde, qu’ils viennent du gaullisme, parce que c’est une des aspiration du gaullisme en profondeur. C’est profondément l’aspiration de la démocratie chrétienne, d’une fraction de la gauche républicaine, même d’un certain nombre de ceux qui ont été communistes. Qu’ils viennent : on est prêt à travailler avec ceux là!


Même des électeurs du front national, qui au fond ne sont pas bien dans cette société là, se sont trompés. Je suis sur cette ligne là. Ce processus là, chez Obama, m’intéresse beaucoup.


O. pour finir avec Obama, vous dites centriste, progressiste. Vous qui êtes un dénonciateur virulent de la bien-pensance, est-ce que finalement l’accord général sur Obama n’a pas tendance à vous irriter.


JFK. Non, je ne suis pas comme ça. Si tout le monde dit qu’il ne faut pas battre les enfants, je suis quand même d’accord et si tout le monde dit que la démocratie est mieux que la dictature, je suis très content! Et en plus il y a quand même des gens, minoritaires heureusement, qui osent s’exprimer contre en dénonçant justement la bien-pensance. Et les gens dans leur ralliement à l’obamania ne disent pas tous la même chose et ne pensent pas tous pareil.


O. Le fait de se sublimer, d’aller vers un autre système, c’est l’origine de l’Europe : sortir d’une Europe de guerre vers une Europe de paix, qui échange les biens, les personnes, etc. Maintenant il faut aller vers autre chose ?


JFK. Obama n’a rien dit qui permette de penser qu’il propose un autre projet de société : Ce n’est pas la même situation en Europe. On est dans une telle régression du système américain que le seul fait d’y mettre un terme est déjà un progrès énorme. Le système qui s’effondre est profondément anglo-saxon. Il est beaucoup plus facile d’en faire la critique et de le remettre en cause en n’étant pas anglo-saxon. Le problème est inversé : pendant 10 ans, les anglo-saxons ont fait le procès du système social français. C’était encore le cas il y a deux ans ; et ça nous posait un problème. Et tout à coup c’est le système anglo-saxon qui est montré du doigt comme étant la cause de la faillite.


Si on veut penser un nouveau model pour le construire, il est évident que le socle européen est le réceptacle idéal : c’est là qu’a été pensée la démocratie, la république, l’humanisme, la philosophie des lumières. Sur ce socle des grands moments de l’évolution de l’humanité, peut-être pensé ce nouveau stade de l’évolution de l’humanité qu’est le nouveau model humaniste. C’est pourquoi la dimension européenne devient fondamentale. Ca ne veut pas dire que ça ne viendra pas d’ailleurs, qu’il n’y aura pas des émergences ailleurs, mais en ce qui nous concerne, le socle européen est fondamental.


O. pour autant l’Europe est aussi très anglo-saxonne : Les anglo-saxons, notamment au parlement européen sont très fort, très présents, très actifs…


JFK c’est pour ça que la première bataille de la législature européenne est de virer Barroso. Le vrai clivage est là, si on continue à accepter que le président de la commission européenne symbolise le système en faillite. Quand il était premier ministre au Portugal, c’était le Bushisme multiplié par 10. Il représente totalement cela, sans compter son ralliement à la guerre d’Irak, le fait qu’il ait divisé l’Europe sous l’ordre américain, c’est la totale! L’acte qui consisterait à dire qu’on ne veut plus être représenté par ce Monsieur est fondamental.


O. l’inefficacité de l’Europe face à la crise ?


JFK. Oui, de toute façon ils sont tous obligés de bouger. C’est comme Sarkozy : vous n’entendrez plus aujourd’hui dans la bouche de Barroso une déclaration d’idéologue néolibéral mais vous ne pouvez pas non plus attendre de lui d’imagination, de dynamique. La responsabilité de la crise ne leur est pour autant pas imputable: il ne s’agit pas d’une personne et même, dire que c’est Bush serait faux: c’est un courant qui s’est développé dans les années 80 avec Reagan, Thatcher, et avec les socio-démocrates, d’ailleurs.


O. Obama a appelé Barroso pour lui dire qu’il voulait travailler non pas avec un pays, mais avec l’Union Européenne.


JFK. L’infléchissement est antérieur : il est évident qu’il y a eu une politique américaine d’unilatéralisme, de mépris incroyable de l’Europe, y compris dans la presse américaine ; plus le moment où, souvenez-vous, la vieille Europe méprisée que l’on comparait à la nouvelle Europe de la Pologne, de la Lettonie, celle avec laquelle on peut travailler parce qu’elle est totalement inféodée… Bush depuis deux ans, pas par choix mais, par besoin, il a évolué vers le multilatéralisme. Ca a joué un grand rôle dans le discours de campagne d’Obama : il ira doublement vers le multilatéralisme. D’abord celui des nations : France, Angleterre, Allemagne, etc. et en prenant en compte l’Europe comme puissance en devenir. C’est important. Il faut d’ailleurs reconnaître que dans la crise, on a vu apparaître l’Europe comme une puissance en gestation, moins que les journaux, sous la pression de Sarkozy, l’ont dit, mais plus que ce que les anti-européens ne le souhaiteraient.


O. Quel Bilan tirer de la Présidence française ?


JFK. Attendons qu’elle se termine. C’est très compliqué à dire parce que la présidence française a été confrontée à une crise majeure. Hors un certain nombre de choses que l’on peut mettre à son actif, aurait été mises à l’actif de n’importe quel président. Sauf un type totalement nul, ou les tchèques parce que le président tchèque est un type bizarre, n’importe quelle présidence, par exemple le chef du parti libéral belge Michel, un type intelligent, aurait été président de l’Europe, il aurait fait la même chose parce que c’est la nécessité. Il est difficile de faire la part entre la nécessité, ce que tout le monde aurait fait de ce qui est la conséquence du volontarisme de Sarkozy. Incontestablement je lui donne raison sur un point où il a échoué d’ailleurs, qui est d’essayer d’esquisser un pouvoir économique au niveau de la zone euro. C’est rejeté par tous nos partenaires mais sur le fond il a raison.


O. avoir été virulent sur la politique de la BCE en début de mandat est paradoxal…


JFK. C’est vrai mais on peut le dire pour absolument tout : Tous les points de la politique de Sarkozy aujourd’hui sont le contraire de ce qu’il disait , de ce sur quoi il et devenu chef de la droite puis président de la République. Donc c’est général.


« Je ne serrerai jamais la main à Poutine », aujourd’hui c’est l’allier inconditionnel de Poutine et de Medvedev, la Syrie, etc., on pourrait multiplier les exemples, donc c’est l’ensemble de sa politique qui est dans ce cas.


O. les crises servent donc d’alibi à Sarkozy pour retourner sa veste ?


JFK. Non, on ne peut même pas dire qu’il retourne sa veste. Les socialistes, quand ils ont esquissé un procès de Sarkozy comme idéologue ultralibéral, ultra bushiste, se sont complètement trompés. C’est vraiment un Bonapartiste, c’est à dire que ce qui l’intéresse c’est lui, sa popularité, son pouvoir, sa gloire. A partir de là, il a très peu de principes et s’il pense que pour rester populaire, pour pouvoir asseoir son pouvoir, il faut changer totalement de cap, il le fera. Il est de toute façon impossible de rester dogmatique ultralibérale compte tenu de l’ampleur de la crise. Personne n’est resté sur cette ligne, même pas Bush.


O. N’est-ce pas la bonne manière de gouverner que d’être intéressé par le succès à tout prix, le ralliement à tout prix des masses populaires, une pure realpolitik ?


JFK. Je ne suis pas sûr que ce soit une manière de gouverner bonne pour le pays, mais pour soi, pour asseoir son pouvoir, c’est incontestable. Mais ce sont simplement des évolutions, des retournements très verbaux. Par rapport à la crise, on va payer quatre erreurs considérables.


Un, le paquet fiscal. Non pas, comme la gauche le dit, parce qu’il s‘agit d’une injustice inouïe, effectivement c’est injuste, mais parce que c’est un contre cycle. Ces 15 Milliards, il fallait les garder pour faire de la relance et on les a dépensé pour rien en creusant le déficit. Erreur ! Plus le bouclier fiscal, qui est une telle connerie que la droite cherche aujourd’hui comment s’en débarrasser, le contourner.


Deuxièmement, l’erreur de l’erreur : l’exonération de charges pour les heures supplémentaires, qui fait qu’il est moins cher d’accumuler les heures supplémentaires que de créer des emplois, ce qui joue beaucoup dans l’augmentation du chômage aujourd’hui.


Trois, la loi commerciale qui affaiblie les PME par rapport aux centrales d’achat.


Et Quatre, le fait d’entrer dans le capital des banques sans même demander un poste au conseil d’administration et sans contrôler si elles débloquent le crédit ou pas.


J’ajoute une cinquième erreur que personne n’ose dire: la politique d’immigration consiste à restreindre les migrations humanitaires, le regroupement familial, mais à relancé très fortement les migrations de travail. Hors c’est une connerie que de relancer les migrations de travail dans notre situation ! Aujourd’hui on fait venir massivement des ouvriers sous payés dans les soi-disant secteurs comme le bâtiment, où le marché du travail était tendu alors qu’on a quasiment 800.000 immigrés qui n’ont pas de travail chez nous, à intégrer.


Une des raisons de la crise aux Etats-Unis en vérité, c’est la baisse du niveau de vie des classes moyennes et des ouvriers. C’est dissimulé grâce à des prêts à flux tendus, justement pour le dissimuler mais lorsque les prêts s’arrêtent, les types ne peuvent plus soutenir l’activité parce qu’ils n’ont pas les moyens.


Il y a d’autres facteurs de crise en Europe, différents. Il y a 4 ans, on opposait le ringardisme du model social français à la modernité du système anglais. Sauf que c’est à cause de ça que les anglais vont en prendre plein la gueule et qu’on va peut-être être un peu moins frappés. Les choses se retournes considérablement. La faiblesse de l’Angleterre c’est d’avoir poussé jusqu’au bout la désindustrialisation pour tout parier sur les services financiers, plus une politique sociale, menée par la gauche, complètement régressive. Faut voir l’ampleur des inégalités, des exclusions, de la fracture sociale, inouïe !


O. Vous dénoncez avec vigueur le socialisme européen, notamment le socialisme français. Votre dernier ouvrage est un livre noir du socialisme français. Etes vous le fossoyeur du socialisme en France ?


JFK. Non, la situation et différente dans chaque pays. Je fais le constat que le model social-démocrate, qui date de la fin du XIXème siècle, qui incontestablement a joué un rôle extrêmement positif dans l’histoire de la démocratie, entre autre d’ailleurs de barrer la route au communisme, ou de renforcement de la démocratie, ce model est usé, mort. Il a atteint son seuil de compétence. Ne serait-ce que parce qu’il était basé sur la redistribution par l’impôt et qu’on a été jusqu’au bout de cette redistribution, ou sur l’assistanat et qu’on a été au bout de l’assistanat. Comme il est évident qu’on a été au bout de tout ça, eux-mêmes en sont conscients, ils reviennent non sans raison sur ce dont ils ont été les initiateurs. Mais comme ils ne proposent rien d ‘autre, ils ne sont aujourd’hui, en Allemagne par exemple, ou en Angleterre, que les fossoyeurs de leur propre avancées et de leur propres acquis. Il ne leur reste plus que le sociétal : le mariage homosexuel, etc. c’est bien gentil en période de non crise, mais en période de crise n’expliquez pas aux gens qu’on a fait beaucoup parce qu’on a fait le mariage homosexuel…


J’ajoute une chose : les socialistes ou les socio-démocrates européens, je n’ai jamais compris pourquoi, je plaisante à peine, les vrais privilégiés, les vrais capitalistes purs et durs ne votent pas social-démocrate, parce que personne ne leur a fait autant de cadeau qu’eux. Pas seulement les cadeaux classiques genre baisses de taxes: le seul fait que leur principe est de prendre en compte, au frais des contribuables, toutes les misères sociales, veut dire qu’on laisse les capitalistes pouvoir s’enrichir comme ils veulent, puisqu’ils sont débarrassés de leurs devoir social. C’est absolument formidable ! Je peux faire n’importe quoi : licencier, écraser, etc., de toute façon l’Etat se charge de réparer tout ça. C’est idéal…non ? (rires)


O. Vous êtes face à des socio-démocrates en déliquescence, critique fort du model anglo-saxon libéral, du système étatiste, avec qui allez vous travailler, construire ?


JFK. Avec tout le monde ! De toute façon ils n’ont plus d’objectif, plus d’aspiration, ils sont libres. Le principe est de dire il faut construire quelque chose d’autre, réinventer un autre forme de société, un autre model. Comme de tout façon c’est clair que vous n’avez plus de réponse et que vous en êtes conscients, on ne sera jamais trop pour réfléchir à tout ça, pour inverser le thème.


O. on critique, on veut mettre sur le principe, l’humain au centre, mais concrètement vous, député européen élu, vous mettez Barroso dehors et puis quoi ?


JFK. Ca c’est un piège. A chaque fois que vous dites qu’il faut créer, inventer une nouvelle société, certains disent « c’est sympa les grandes idées mais soyons concrets. » C’est une plaisanterie. J’ai passé ma vie à être concret. Il y a douze ans, dans l’évènement du Jeudi on a fait un programme de cent pages et de 320 propositions. Il y a deux ans, dans Marianne, on a fait un projet de 130 propositions. Là, pour sortir de la crise, j’ai fait 50 propositions. Simplement on ne peut pas le faire en deux minutes à la télé, à la radio... On n’arrête pas d’être concret, je n’ai de cesse d’être concret. Simplement le problème aujourd’hui c’est qu’on ne manquait pas de programme mais de finalités. Donc au contraire, je vous dit, je recrée de la finalité parce que c’est ce qui nous manquait. Mais cela dit, les programmes, on en fait et des propositions on en avance !


O. peut-on trouver dans les programmes de l’Evènement du Jeudi ou de Marianne ou dans les cinquante propositions récentes votre programme électoral ?


JFK. Ca reste des propositions qui sont les miennes mais cela dit ce n’est pas particulièrement ciblé sur l’Europe. Le problème de la finalité est encore plus important sur l’Europe, parce que si l’on veut se retrouver sur un programme, encore faut-il définir une finalité.


O. La gauche extrême se nourrit de la désuétude du PS. C’est le cas aussi en Allemagne…


JFK. elle va monter si on n’est pas capable de faire entendre, nous entre autres, ce discours de la possibilité de mobiliser les gens, sur la création d’un nouveau model. On en prendra plein la gueule parce que les gens n’écoutent plus un discours mou, et surtout les radicalités sont montées. A droite, heureusement pour l’instant, on ne risque pas trop de radicalité parce que le FN est en déclin, mais ailleurs en Europe oui. Et quant aux radicalités à gauche, Besancenot peut faire 12%, on ne peut pas l’éviter. Curieux de nature, j’ai été au meeting de Mélenchon, j’ai voulu voir, c’était quand même plein alors que c’était inaccessible, dans une banlieue perdue, ils étaient 2500 personnes, très mobilisés. Il n’y avait pas beaucoup de jeunes, mais on voyait qu’il y avait quelque chose. Il faut dire que Mélenchon qui est nul quand il fait des débats télé, qui est désagréable, qui aboie, est formidable comme orateur de meeting. Un des grand orateurs qui existe aujourd’hui en France : un peu vieillot mais très bon!


O. vous connaissez très bien l’Afrique du Nord. Sarkozy a fait l’Union pour la méditerranée. Qu’est ce que cela vous inspire face aux crises d’Algérie, du Congo?


JFK. Pour vous dire la vérité, je n’ai toujours pas compris de quoi il s’agit. A part des mots, des moulinets, je n’ai absolument pas compris, concrètement, de quoi il s’agit (rires). Vous croyez que l’Union Pour la Méditerranée va régler le problème algérien et convaincre Bouteflika de ne pas faire un troisième mandat ? L’Union Européenne n’en a rien à foutre et ils ne feront rien ! L’important est de régler le problème du Proche-Orient : tant que le Proche-Orient n’est pas réglé, l’Union Européenne de peut rien faire. Normalement, dans l’Union Pour la Méditerranée, Israël en est, la Syrie aussi, l’Irak aussi, et vous allez faire des réunions où ils ne peuvent pas se parler, alors imaginez ce qu’on peut construire. Je ne critique pas parce que d’une part ça ne mange pas de pain, même si ça ne sert à rien, ce n’est pas mauvais, ça ne fait pas de mal, et il vaut mieux aller dans ce sens là, mais pour l’instant je ne vois rien que des mots. Et en plus, j’aime bien le mec qui est à l’origine de ça, j’ai quand même de la sympathie pour Guaino, parce que c’est un type intelligent, qui a des idées, qui ose, qui a montré qu’il avait des convictions, une colonne vertébrale. Je trouve que Jospin l’a traité de façon scandaleuse.


O. Vous êtes fondamentalement républicain et européen, donc pas Chevènementiste ?


JFK. Je suis européen, je suis libre échangiste, je suis en désaccord total avec Chevènement là-dessus, mais en revanche, sur les valeurs républicaines je suis très intransigeant.


O. Vous n’êtes pas MoDem non plus ?


JFK. Non, parce que je ne suis nulle part, mais si j’étais quelque part, je serais MoDem.


O. Vous faites un peu votre Cavada, en n’étant pas MoDem…


JFK. Franchement, premièrement ils ne m’ont jamais demandé, et il y a quand même un problème : si j’adhérais au MoDem, je suis prêt à adhérer au Modem, la tendance serait de me demander de participer à la vie du Modem, d’avoir un poste de direction. En fait, ce n’est pas d’adhérer au modem qui m’emmerde, c’est d’avoir un poste de direction partisan, parce que je ne connais pas, je les ferais chier…


Il y a quand même une différence entre Cavada et moi : Cavada est allé voir l’UMP en disant « est-ce que vous me proposez un poste ? », il a jamais porté un discours : personne ne peut me dire quelle idée et quel projet portait Cavada . Au moins vous ne pouvez pas dire ça de moi : j’y vais parce que je porte un projet !


O. Il va bien falloir tout de même vous coltiner la vie du parti si vous êtes candidat ?


JFK. D’abord en ce qui concerne la candidature, oui puisque je pense que c’est aux militants de décider : je tiens beaucoup à ce que les militants choisissent et disent s’ils acceptent cette candidature ou pas, et je suis tout à fait prêt à aller devant eux, à leur présenter ce que je veux faire. Si j’y vais, je les mobiliserai, je les réunirai, on se répartira le travail : ça je le ferai. Participer à la vie du parti au niveau national, j’en sais rien, c’est plus compliqué. D’abord rien ne prouve qu’ils le souhaitent ! (rires)


O. vous êtes prêt à entendre de la part des militants qu’ils ne veulent pas de vous?


JFK. Oui ! Pourquoi ? C’est leur droit. Je ne serai pas député européen, qu’est ce que ça peut foutre ? Je n’en ai pas besoin, ce n’est pas un problème pour moi. Je veux être candidat au nom d’une idée, et pour traduire un combat. Si les gens qui portent cette idée et sont prêt à partir au combat, n’en ont pas envie, ne veulent pas, ou considèrent que ça n’est pas le bon candidat. Il y a quand même des sortants en plus, je ne vois pas pourquoi je m’imposerais…Il n’y a pas de problème.


O. Vous avez dit plusieurs fois que vous vouliez être candidat dans le Nord-Est ?


JFK. Je serai candidat dans l’Est parce que c’est ma région. L’idée ne me viendrait même pas d’aller autre part. Il se trouve que c’est là que j’habite, c’est ma famille, c’est l’origine de mes parents, toutes mes attaches sont dans cette région. Donc, ou j’irai là, ou j’irai nulle part. C’est ma région donc je n’irai pas me balancer quelque part, et je m’effacerai devant Griesbeck si elle n’est pas élue pour lui donner la priorité. Je peux pas faire mieux : personne ne l’a jamais fait et je le maintiens.


O. Au sein de l’Alliance des Démocrates et des Libéraux Européens, il y a une branche démocrate dont le MoDem fait partie, et puis il y a les libéraux (l’ELDR). Vous faites une critique du libéralisme…


JFK. Du Libéralisme, non, du néo-libéralisme. J’ai beaucoup écrit là-dessus. Je pense au contraire qu’il faut se ressaisir des principes, réhabiliter les vrais principes libéraux pour les retourner contre les excès du néo-capitalisme. Il faut montrer comment la dérive neo-capitaliste est devenue attentatoire à ce qui a de plus progressiste dans principe libéraux. Je ne parle même pas des principes politiques mais bien des principes économiques. Qui est contre la concurrence, contre la pluralité, contre la diversité, contre l’accès libre au marché, contre la libre entreprise? Il faut arrêter de raconter n’importe quoi! Je veux bien les discours anti-libéraux, mais alors êtes-vous prêt à abandonner la libre entreprise, l’accès libre au marché, à abolir la pluralité et la diversité, la libre concurrence ? Moi je dis : «pas du tout » ! Au contraire il faut s’appuyer là-dessus pour condamner un néo-capitalisme qui viole ces principes par le monopole, les verrouillage du marché, la restriction de la concurrence.


O. Vous faites souvent appel aux différents courants qui pourraient vous rejoindre, notamment les Gaullistes…


JFK. Oui car je pense qu’à part notre différence fondamentale sur le souverainisme et l’Europe et éventuellement sur le libre-échange (certains sont protectionnistes mais pas tous), il y a une volonté d’inventer un type de société qui dépasse l’ultra-capitalisme, et les Gaulliste ont porté cela. Plus la résistance, et comme aujourd’hui, l’Europe telle que je la rêve, c'est-à-dire l’Europe fédérale, les Etats-Unis d’Europe c’est foutu pour longtemps. Il faut continuer à se battre, sans se faire d’illusion. On a déjà du mal à faire voter une constitution, laquelle enterre déjà ce projet. Donc je ne vois pas pourquoi on va s’empailler sur un point qui ne sera pas d’actualité avant 10 ou 15 ans. Donc on s’empaillera si c’est d’actualité parce qu’il ne faut pas céder là-dessus, mais tant que c’est pas d’actualité, je ne vois pas pourquoi on ne se retrouverait pas sur d’autres principes sur lesquels profondément on est d’accord.


O. Mais le gaullisme est pour vous un mot qui fait encore sens à l’époque contemporaine ?


JFK. Oui, parce qu’il y a eu cette volonté de dépassement. J’emploie d’autres mots quelques fois : je dis démocrates chrétiens, libéraux de progrès, mais si je dis droite nationale c’est mal compris, on pense au front national. En d’autres époques c’est ce qu’on aurait appelé la droite nationale mais aujourd’hui on ne peut plus employer ce mot là.


O. Le Gaullisme fait aussi référence à un Etat très présent et une vision péjorative des Nations Unies, de l’Europe, le grand machin…


JFK. Je suis pour un Etat très présent, encore faut-il s’entendre : Je pense que le libéralisme n’est possible que sur un Etat très présent : la dynamique capitaliste porte au monopole et donc le libéralisme n’est possible que si il y a un état qui évite le monopole. Le libéralisme tend au verrouillage du marché, donc il n’est possible que s’il y a un Etat qui empêche le verrouillage du marché, que si il y a pluralité et diversité, s’il y a un état qui les garantisse.


En ce sens il n’y a pas de contradiction. La plaisanterie que je faisais tout à l’heure à propos des socialistes qui ont fait un cadeau aux capitalistes en prenant la misère à leur compte, c’est vrai ! je préférais à la limite, le système d’économie sociale de marché ou d’économie mixte qu’on avait fait après guerre, où on avait un état entre autres entrepreneur, banquier. Si il était totalement entrepreneur ou totalement banquier je serais contre: c’est le socialisme. Mais un Etat qui entre autres peut être entrepreneur, banquier, chef d’entreprise, et qui pour le reste garanti liberté d’entreprendre, liberté de création formidable, je préfère ça à un état qui s’est retiré de tout ça et qui du même coup est omniprésent parce qu’il est brancardier, il vous conduit, il vous loge, il vous guéri, il vous assiste…Jamais on va vu un état aussi omniprésent et inséré dans votre vie quotidienne, disant comment il faut conduire, comment il faut boire, comment il faut fumer, etc. on a inventé un Etat épouvantable! Il est partout. Sous prétexte de le retirer là ou il était initiateur, planificateur, on l’a mis absolument partout et de la façon la plus épouvantable qui soit, y compris comme flic, ou alors là, n’en parlons pas…


O. Emmanuel Todd est venu nous dire, comme il le prêche sur toutes les antennes en ce moment que justement le meilleur moyen de construire l’Europe c’est de faire un protectionnisme européen.


JFK. Oui, mais c’est quand même du protectionnisme. Je le lui ai dit: même s’il est vrai que puisque tout dogmatisme est dangereux, le libre-échange devenant dogmatique est dangereux. Il peut y avoir des moments où il est nécessaire de défendre tel secteur contre tel dumping social ou économique. Mais d’abord il ne faut pas employer le terme protectionnisme qui est trop connoté. Dire en revanche qu’il faut, non pas un protectionnisme européen, mais des règles de protection européennes, chargées moins de fermer le marcher que de contribuer à donner une identité commerciale ou économique européenne, on peut le discuter. De toute façon on ne sera jamais aussi protectionnistes que le sont en vérité le Japon et les Etats-Unis, simplement à leur façon.


O. Et l’entrée de la Turquie ?


JFK. Je suis contre, tout simplement parce que je suis européen : je suis fédéraliste, je suis vraiment pour les Etats-Unis d’Europe, profondément. J’ai voté oui à la constitution et je me suis battu pour le oui, mais j’aurais pu voter non à cause justement des droits de veto qui font reculer, sous la pression anglaise, le projet d’un état fédéral.


Pour avancer vers une véritable Europe intégrée, il faut créer aussi un patriotisme européen. Déjà qu’on n’a pas une langue commune, ce qui est un handicap, il faut créer un patriotisme basé sur ce qu’on a en commun: la chrétienté, qu’on le veuille ou non, l’Europe a été chrétienne. Je ne suis pas pour qu’on le mette dans la constitution, mais c’est pas une raison pour le nier. C’est vrai que l’humanisme a été quelque chose de commun, il y a beaucoup de choses, une civilisation commune que l’on a créé, et puis il y a une entité géographique. Déjà on a du mal malgré tout ça, comment voulez-vous avoir la moindre chance de créer un patriotisme européen, avec une région qui n’a pas la même civilisation, et qui fait pas partie géographiquement de l’Europe ? En vérité ceux qui sont pour l’entrée de la Turquie dans l’union sont les anti-européens, l’Angleterre, les Etats-Unis, parce qu’ils savent que c’est la fin du rêve du fédéralisme européen.


O. Que répondez-vous si l’on vous taxe de vouloir faire l’Europe à l’image de la France : opposé au système anglo-saxon, critique de la sociale démocratie, républicain?


JFK. Je suis opposé à ce que l’on a appelé le système anglo-saxon. Si on était en 1938 avec Roosevelt, je ne serais pas opposé au système anglo-saxon : il était tellement en avance ! C’est un type de capitalisme, pour reprendre d’expression d’Albert sur le capitalisme Rhénan et le capitalisme anglo-saxon, je ne suis pas du côté du model anglo-saxon. Mais le parti Libéral Démocrate anglais à été le plus critique du model anglo-saxon et des excès du néo-libéralisme de Thatcher. Ce parti ne s’est pas opposé à Blair que sur la guerre d’Irak, mais aussi sur les excès de son néo-libéralisme. Il est plus à « gauche » que les travaillistes, mais ce n’est pas dur me direz-vous.


O. Vous aurez des partenaires à Bruxelles. Vous leurs parlerez en quelle langue ?


JFK. Je parle Espagnol, mais je reconnais que j’ai une très grande faiblesse : je ne parle pas anglais parce que je fais partie d’une génération perdue qui a fait du grec et du latin, ce qui est une connerie énorme.


O. Sans retomber dans la question de ce que vous ferez concrètement, vous voulez arriver au parlement européen et commencer par virer Barroso. Ensuite, avec un mandat de député européen, si vous êtes élu, vous allez prendre en charge des commission parlementaires, vous allez engendrer un certain nombre d’action fortes, quelles sont vos idées de ce que pourrait être votre action à Bruxelles ?

C’est pas moi qui vais virer Barroso: je dis que comme acte fondateur, du fait qu’on se donne une identité, je trouve que le combat pour ne pas réélire Barroso me semble être intéressant.


Pour le reste c’est très difficile de le dire parce que d’abord, à chaque fois que j’interroge quelqu’un qui est député européen pour savoir ce que l’on peut faire, s’il y a des possibilités, j’ai des réponses totalement contradictoires: ça va de Cohn-Bendit qui me dit : « on peut faire des choses formidables, faire avancer les projets, etc. » jusqu’à Vincent Peillon qui me dit « on ne peut rien faire, c’est bloqué », Je vais bouffer avec Olivier Duhamel parce que je voudrais lui demander sont avis… donc je n’arrive pas à avoir une réponse claire sur les opportunités de faire avancer des dossiers, de pouvoir agir. Je ne suis pas complètement au fait là-dessus parce que personne n’est capable de me donner la même réponse.


La deuxième raison c’est qu’on ignore à quelles questions principales le parlement européen sera confronté durant la prochaine mandature. Je parle de Barroso parce que le Parlement est sûr d’y être confronté et que c’est symbolique, pour le reste, on ne sait pas encore à quels problèmes il sera confronté.


O. Merci Monsieur Kahn !


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